Pourquoi devons-nous favoriser l’agroforesterie ?
On en parle de plus en plus mais le problème n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années les experts du climat et de l’agronomie se sont mis d’accord sur la nécessité de reboiser les exploitations agricoles. Haies, bosquets et arbustes ont été progressivement abattus durant la seconde moitié du XXème siècle au nom de l’agriculture productiviste, sans que l’on ait véritablement étudié les conséquences économiques, biologiques et environnementales associées à la raréfaction de la biodiversité faunistique et floristique. Un mot d’ordre a été lancé par la PAC, pourtant on peut douter que cet effort suffise. Comment convaincre de l’urgence d’une telle entreprise dans un environnement préoccupé par des considérations économiques – compétitivité en berne, concurrence intra et extra européenne – et financières – volatilité des prix matières premières, hausse de l’endettement des exploitants du à une technicité croissante des outils de production – inhérentes au métier d’agriculteur? Il est tout d’abord important de démonter l’idéologie passée pour mieux en faire ressortir par la suite les avantages d’un système agroforestier, qui somme toute bénéficie du soutien marqué de plusieurs institutions politiquement et économiquement puissantes sur le plan européen.
Remettre en cause les idées passées
C’est au cours des Trente Glorieuses et dans les 20 années qui suivirent la mise en place de l’Europe que l’agriculture a connu sa plus grande mutation : encore très polyvalente et peu industrialisée avant-guerre, le boom économique et industriel de la seconde moitié du XXème siècle a profondément changé la manière de produire des biens agricoles. Pour répondre à une demande croissante du au quasi plein-emploi et à la chute des prix – du moins en Europe de l’Ouest – les éleveurs et agriculteurs ont augmenté l’emploi d’engrais et autres compléments minéraux, agrandi leur surface cultivable, et réduit d’autant la part réservée aux bassins marécageux, aux arbustes et talus.
Quelle fut leur erreur à cette époque! A contrario du sens commun, les zones vertes annexes dynamisent fortement les rendements agricoles en préservant notamment la fertilité des sols et la pollution des rivières. En effet les arbres extraient les minéraux et l’eau des sols pour les faire remonter au plus près des cultures et empêchent ainsi les fameux nitrates présents dans les engrais de polluer massivement les cours d’eau qui nourriront les plantes. Il ne faut pas oublier non plus l’effet indéniablement positif de la décomposition organique des plantes inscrite dans le cycle de la vie végétale qui sert d’engrais naturel pour les terres arables : 100 hectares de surface agroforestière contribuent à produire en moyenne autant de biomasse – feuilles, racines… – que 150 hectares d’une exploitation neutre. Cette biomasse c’est autant d’engrais économisé de la sorte, engrais qui contribuent au réchauffement climatique en émettant du protoxyde d’azote, un gaz 300 fois plus néfaste que le CO2.
Renouer avec la biodiversité
Le coût écologique et économique de l’agriculture stérile a été très longtemps sous-estimé par manque d’études et de prise en compte des problèmes que cela pourrait générer, mais aujourd’hui nous avons les moyens de retourner la vapeur en favorisant l’agroforesterie. Ce sont 15% à 30% des émissions de gaz à effet de serre en France qui pourraient être comblés par le simple recours aux arbres, sans compter la diminution du nombre d’engrais porteurs de protoxydes d’azote!
En effet, les arbres stockent naturellement le CO2 émis par les organismes vivants ou les machines agricoles. Ce CO2 est redirigé vers le sol, accroissant sa résistance et sa richesse en minéraux. Selon un rapport de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), à surface égale une forêt en fonction de son emplacement géographique capterait 20 à 100 fois plus de carbone qu’une exploitation agricole. En zone tempérée un hectare de forêt peut par exemple capturer en son sein plus de 50 tonnes de CO2.
Au fil des ans les surfaces non agricoles ont aussi d’autres vertus. Source de bois, les arbres peuvent incarner une source d’énergie verte et économiquement très intéressante. Le bois est la ressource la moins chère du marché, c’est l’occasion idéale pour changer son mode de chauffage et réduire sa facture en énergie. En tant que réservoir d’insectes pollinisateurs, les haies et bosquets contribuent de plus à la fertilité des champs et préservent contre la prolifération de certains insectes nuisibles aux plantations.
Accélérer la transition énergétique
L’État, les associations agricoles et les professionnels de l’environnement sont parfaitement conscients des enjeux liés à la préservation de la biodiversité dans les exploitations agricoles. Les récentes négociations sur la PAC (Politique Agricole Commune) au niveau européen ont remis au goût du jour les Surfaces Non-Agricoles ou SNA dans le but de les valoriser sans qu’elle ne pèsent excessivement sur les épaules des agriculteurs. La législation en vigueur intègre ainsi par exemple les arbres, haies, et mares dans le calcul des aides de la PAC qui ne comprend en règle générale que les surfaces réservées à la production agricole. De même en mai 2016, les ministres européens se sont réunis pour simplifier les déclarations relatives au tracé de ces mêmes SNA pour les agriculteurs toujours dans le but d’inciter à la reverdurisation des zones de bocage et de pâturage.
Jusqu’alors le gouvernement n’oblige pas les agriculteurs à agir en faveur de l’agroforesterie, lorsqu’une action est menée en faveur de l’agroforesterie l’Etat débloque juste des mécanismes de compensation et des subventions publiques supplémentaires. Mais le mécanisme incitatif est-il le plus apte à répondre au défi du changement climatique et à l’objectif ambitieux de 75% de réduction des émissions de CO2 d’ici à 2050? Ne faut-il pas pousser jusqu’au bout la logique incitative comme le fait le Compte CO2 afin de voir des effets réellement positifs?